Salut et bienvenue dans Cinérameuf, le podcast qui parle de films cultes et de films classiques à travers un regard féministe !
Narratrice – Alice Creusot : En avril 2021 se déroulait la 93e cérémonie des Oscar. Chloé Zhao remporte l’oscar de la meilleure réalisation pour Nomadland, lui-même sacré meilleur film. Un road-movie dramatique avec en tête d’affiche, l’actrice Frances McDormand, elle aussi récompensée en tant que meilleure actrice. Le film dépeint le quotidien de Fern, une femme qui décide de prendre la route au sein des grands espaces de l’ouest américain pour y vivre en temps que nomade et s’affranchir ainsi des standards de la société.
C’est donc l’occasion pour moi de vous faire découvrir ou redécouvrir, un classique du road movie féminin. Le tout premier, en fait. Et ce film, c’est Thelma et Louise réalisé par Ridley Scott en 1991.
Avant toutes choses, je tiens à préciser que dans ce podcast, on va rentrer l’analyse et donc je vous suggère de vite le voir (déjà parce que c’est un film beaucoup trop cool) mais aussi parce que sinon je risque de vous spoiler des passages. Ce qui m’intéresse, moi, avec ce film, c’est surtout les réactions disproportionnées qu’il a suscité à sa sortie et je pense que c’est ce qui a contribué à l’ériger au rang de film culte. En effet, il s’agit du premier road movie qui met en scène deux personnages principaux féminins et je pense que voir ainsi deux femmes prendre les armes et se rebeller contre l’ordre établi, c’était pas rien. Dans cet épisode, on va donc s’intéresser à cette œuvre et comprendre en quoi son entrée dans les salles obscures a contribué à bousculer les mentalités américaines. On va aussi répondre aux critiques misogynes qui ont été faites et analyser les messages féministes que porte ce film. Vous êtes prêt ? C’est parti pour une lecture Cinérameuf.
*son de cassette*
Extrait du film : Thelma : Louise…
Louise : What ?
Thelma : Shoot the radio
Louise : Right !
*gunshot*
Thelma et Louise, c’est l’histoire de deux amies qui se languissent profondément de leur quotidien et qui partent sur la route entre copines pour s’offrir un week-end loin de toutes leurs galères. Sauf qu’elles vont vivre en chemin un drame qui va bouleverser leur virée et les pousser à s’enfuir au Mexique.
Le film, c’est donc deux nanas qui cassent les codes de la société au nom de la liberté et de la sororité. Il a été très cathartique au sens où il a permis à l’audience féminine de fantasmer à une réalité où elles peuvent accéder aux mêmes désirs que les hommes. C’est pourquoi, à sa sortie en 1991, il a été la cible de nombreuses réactions à la fois positives ou négatives. Si bien qu’il fera la Une du Magazine Times qui titrera son numéro “Why Thelma and Louise Strikes A Nerve ?” Pourquoi Thelma et Louise frappe un grand coup ? Les critiques négatives visaient principalement le comportement de Thelma et Louise. Elles étaient jugées comme extrémistes, fascistes, voire réactionnaires. On est vraiment pas loin de dire qu’elles sont des « féminazies ». On y dénonce surtout la violence des personnages féminins et la « pauvre » représentation “stéréotypée” des hommes. Comme si, les femmes n’avaient jamais été stéréotypées au cinéma de leur existence. J’ai même trouvé dans mes recherches des critiques qui pensaient que la raison pour laquelle elles péteraient des câbles dans le film, c’est sûrement parce qu’elle avaient leurs règles… bah, oui, c’est évident ! Pourquoi je me fatigue à faire un podcast dessus alors ?
S’il a à ce point marqué les esprits, c’est non seulement grâce à l’interprétation brillante de Geena Davis et Susan Sarandon mais c’est également parce que pour une fois des femmes étaient bien écrites au cinéma. Et tout ça, c’est grâce à la scénariste du film, Callie Khouri.
Callie Khouri à la base, c’était une productrice de clips vidéo et elle a pensé ce film toute seule, et elle l’a écrite pendant 4 mois d’une traite en s’inspirant de son expérience en tant que femme mais aussi des expériences de ses amies qui se languissaient un peu de leur vie de mères et de femmes au foyer. Elle avait vachement de mal à trouver des producteurs qui acceptaient de financer son film pour la simple et bonne raison qu’ils ne comprenaient pas que deux nanas dans une bagnole pourrait plaire à une audience féminine. Bien que l’idée, c’était qu’elle réalise elle-même son projet, c’était Ridley Scott qui s’imposa finalement à la réalisation. Et là, comme par hasard, la MGM a accepté de produire le film. Et franchement, même malgré ça, ils misaient pas énormément sur le film, il a été marqueté comme un film pour « femmes » et comme une chick-flick.
Il a pourtant fait partie des plus grosses sorties au cinéma au USA pendant l’été 91 et est aujourd’hui classé comme l’un des meilleurs films sorti cette année-là à côté du Silence des Agneaux. Trente ans plus tard, Thelma et Louise est progressivement devenu une référence incontournable du cinéma de Ridley Scott et un film inédit du genre road-trip et il est, à ce jour encore, une œuvre bibliographique aux études filmiques et féministes. Et pour parler plus précisément des spécificités des road movies féminins, je me suis rapprochée d’une femme qui étudie justement la question, ça tombe bien. Elle s’appelle Héloïse Van Appelghem, elle est doctorante et chargée de TD en analyses filmiques à Paris 3, et elle écrit depuis 4 ans maintenant une thèse qui s’intitule “La double peine. Formes et motifs de l’émancipation féminine dans les road movies du cinéma des grands espaces, de 1960 à nos jours”
Extrait de l’invitée – Héloïse Van Appelghem : Je pars un peu de l’idée de comment la mobilité des femmes a pu être restreinte au fur et à mesure des siècles. Moi je suis partie de l’étude des peuples de chasseurs-cueilleurs nomades au temps de la préhistoire pour me demander à quel moment dans l’Histoire, la mobilité des femmes à pu être réduite. On a tendance à faire passer la mobilité des hommes ou le mouvement ou l’agentivité, en tout cas, des hommes par une histoire qui vient de la préhistoire. Alors qu’en fait, en me documentant pour mon mémoire et puis pour ma thèse, je me suis rendue compte que c’était pas le cas et que c’était beaucoup plus riche et complexe que prévu, enfin, pour différents peuples à travers les territoires géographiques, à travers les continents. Que les femmes, en fait, se déplaçaient et qu’elles pratiquaient aussi la chasse comme les hommes, mais, effectivement, elles ne pouvaient pas avoir accès à certaines activités en raison de croyances où par exemple, elles pouvaient pratiquer la chasse mais pas certains animaux ou en ne versant pas le sang, parce qu’en ayant elles-mêmes leurs règles, il y avait cette croyance qu’il fallait pas verser doublement le sang. Mais, en tout cas, elles avaient bien une mobilité à elles et même parfois, elles marchaient ou elles allaient plus loin que les hommes et avec des enfants sur le dos.
Narratrice : Elle en a conclu alors qu’il y a eu un mythe qui a été créé de toute pièce, celle de la femme au foyer et qui, non n’est pas une condition naturelle chez les femmes. C’est une représentation, un mythe de la condition des femmes qui a été largement diffusée à travers la publicité, les médias et la culture depuis les années 50.
Extrait de l’invitée – H.V : Les premières scènes qu’on voit, le film s’ouvre comme ça, elles sont au téléphone. Louise appelle Thelma qui est directement dans sa cuisine, c’est la première image qu’on voit de Thelma, elle est dans sa cuisine donc c’est vraiment dans le lieu du foyer.
Extrait du film :
Extrait de l’invitée – H.V : La scène est assez marquée rapidement en fait on voit qu’on a affaire à un mari macho qui ne respectent pas du tout Thelma et qu’elle est bloquées dans cette vie-là. Et, effectivement, Louise est peut-être un peu plus libre mais c’est aussi marqué de façon genrée le travail qu’elle fait puisqu’elle est serveuse donc c’est aussi dans le travail du care donc toutes les deux en fait elles ont à s’affranchir des questions de genre et je trouve ça aussi intéressant de commencer le film en montrant Thelma dans sa cuisine et en montrant les deux en fait qui sont bloquées par leur rôle de femme au foyer pour l’une et l’autre même si elle n’est pas femme au foyer, elle est avec Jimmy. C’est quand même une relation hétéronormée, donc il y a une volonté de libération des deux, mais du coup je trouve ça intéressant de montrer dès le départ cette question-là de femme au foyer parce que ça renvoie vraiment beaucoup, enfin, moi ça me fait penser un ouvrage qui est assez important de Betty Friedan La Femme Mystifiée et ce qu’elle écrit dans son livre là en c’est en 1963 enfin ça a vraiment révolutionné on va dire, la vie des femmes américaines de classe moyenne qui se sont toutes retrouvées puisqu’en fait Betty Friedan part de son expérience personnelle où elle se demande pourquoi en ayant un mari et s’étant marier, en ayant fait tout ce qu’on attendait d’elle tout ce que la société attendait d’elle pourquoi n’est toujours pas heureuse et en fait elle part interviewer justement dans tous les Etats-Unis plein de femmes pour savoir qu’elle est leur condition en tant que femme au foyer du coup elle développe cette idée qu’elle appelle « le problème qui n’a pas de nom » Elle parle de la ménagère insatisfaite et du fait que oui la ménagère américaine des années 60 n’est pas heureuse et que ça va même jusqu’à développer certaines pathologies et parfois même jusqu’à la dépression et au suicide parce que si elles se sont toutes oubliées. Elles ont mis au premier plan le rôle de leur conjoint donc elles se sont oubliées sur le plan professionnel. Elles ont abandonné leurs études et elles ont tout de suite eu des enfants. Elles sont là toute la journée à être entourée de plein d’objets électroménagers dernier cri et en fait ça ne les rend pas heureuses et je trouve que le film Thelma et Louise reprend vraiment cette idée de ce problème qui n’a pas de nom et de la ménagère insatisfaite qui va justement essayer d’échapper à ce destin-là en prenant la route.
Narratrice : Depuis les années 90, nombreuses sont les œuvres de pop culture qui répondent à cette injonction à l’espace confiné de la maison, on pense par exemple à la série Desperate Housewives qui offre une satire du quotidien des ménagères de classe moyenne et supérieures américaines, qui vivent des situations complètement improbables.
Qui sont ces femmes qui osent se plaindre alors qu’elles ont tout ce dont elles rêvaient d’avoir ? Un mari qui a une bonne condition, des enfants, une maison, des produits électroménagers.. Ce n’est pas pour rien que la série commence avec le suicide de Mary Alice Young dont la vie était pourtant d’apparence si parfaite. Dans Thelma & Louise, cette quête d’émancipation de la ménagère insatisfaite, elle va donc s’inscrire dans un déplacement vers l’inconnu, dans le voyage, dans la route. Cela permet aux personnages qui sont dans la fuite, qu’elle soit réelle ou symbolique d’ailleurs, de s’émanciper des codes de la société capitaliste américaine, sauf que dans les cas des femmes la route permet de se rebeller contre la masculinité hégémonique et aussi contre le patriarcat,et ça, c’était vraiment du jamais-vu dans le road movie.
Extrait de l’invitée – H.V : Le road movie, quand on pense à l’histoire du genre filmique, l’une des thématiques principales c’est la rébellion, la révolte, la marginalité. C’est ce qui était dans la contre culture des années 60-70 avec « Easy rider », « Vanishing point », « Zabriskie Point ». Tous ces films qui ont façonné un peu les thématiques typiques du genre par rapport aux thématiques et par rapport aux expériences qui sont vécues par les personnages féminins ou masculins en fait il y a une tendance pour les personnages masculins, alors pareil, je dis une tendance parce que je veux pas faire de généralités parce que bien sûr chaque histoire est particulière mais, en tout cas, moi j’étudie un corpus et je vois qu’en majorité ce qui se dégage, c’est que des personnages masculins vont avoir tendance à prendre la route plutôt pour se rebeller contre la société de consommation, contre le capitalisme, contre le patronat ou pas forcément pour ça ! Parfois ça peut être au contraire pour resserrer les liens de la famille et en fait redoubler on va dire l’hétérosexualité, enfin, les valeurs traditionnelles de la famille et ça va être plutôt différent pour les femmes moi c’est ce que j’ai vu dans les road movies où les femmes vont plutôt se rebeller bon ça peut être aussi contre la société en général donc c’est pour ça que moi je parle de « double rébellion » c’est à dire, qu’elles vont se rebeller aussi contre la société en général : contre le capitalisme, le patronat également mais en plus contre le patriarcat c’est donc c’est pour ça que je parle de double rébellion c’est que c’est vraiment la question du genre qui rentre en compte et qui va changer souvent la narration et qui va aussi modifier les thématiques inhérentes du genre du road movie.
Dans les années 90, en fait, on reprend un petit peu c’est ces thématiques propres au genre filmique mais on va les voir sous le prisme du genre ou sous le prisme de la classe sociale ou sous le prisme de l’ethnicité. Donc les femmes qui vont prendre la route elles vont chercher à s’émanciper du patriarcat mais on va avoir aussi une vague de films, par exemple, on a « My own private Idaho » où c’est un duo d’hommes gays qui est sur la route. Il y a aussi « The living end » de Gregg Araki qui d’ailleurs à sa sortie a été appelé dans la presse comme le Thelma et Louise gay et voilà on a plusieurs films qui prennent des questions comme ça, la question de la minorité en le mettant dans le road movie. C’est le genre idéal pour les personnages de marginaux ou les personnages en tout cas considérés comme en marge qui sortent des normes et la norme, et bien, forcément c’est le patriarcat ou l’hétérosexualité ou la blanchité et donc ça va être des personnages qui vont sortir des normes et qui vont prendre la route justement pour se libérer de ça et souvent ce qui va revenir aussi c’est que sur leur route fin dans leur chemin d’émancipation que ce soit des personnages féminins, de la communauté LGBT ou bien des afro-américains, ils vont aussi sur la route se confronter à la question du sexisme, du racisme ou de l’homophobie et donc le voyage physique est à chaque fois redoublé du voyage intérieur et en particulier du fait de se confronter à des obstacles qui permettent de voir, parce que c’est un genre plutôt américain, donc qui permettent de voir l’Amérique sous toutes ses coutures et y compris avec la question de la classe, du genre, de l’ethnicité, etc.
*transition*
Narratrice : Rentrons maintenant un peu plus dans les détails du film. Le drame qui va arriver et qui va être le point de départ de leur cavale au Mexique va survenir dans une séquence où Thelma et Louise décident de faire une pause sur leur trajet et de boire un coup dans un drive-in. Elles vont faire la rencontre d’Harlan, un habitué du coin, qui va draguer Thelma, qui va la faire boire et la faire danser, jusqu’à abuser d’elle sur le parking de la boîte de nuit.
Cette séquence est super intéressante quand on y prête bien attention et elle est d’ailleurs analysée par Iris Brey dans son ouvrage « Le regard féminin, une révolution à l’écran », paru en février 2020. Elle y explique qu’on y voit Louise souffler sa fumée de cigarette en direction du regard de Harlan, ce qui va l’aveugler quelques secondes. C’est le premier avertissement contre le regard masculin. Finalement lorsqu’il va tenter de violer Thelma sur le parking, Louise va s’interposer et le menacer avec son pistolet une fois et après qu’il l’ait insultée de salope, elle va l’abattre. Iris Brey en conclut que cela signifie qu’elle fait disparaitre le male gaze, elle dit je cite : “jusqu’au bout, le regard féminin sera libérateur”.
Tout au long du film, on observe effectivement comment Louise et Thelma se détachent petit à petit du regard masculin pour finalement se révéler elles-mêmes comme sujets de leur propre histoire, laissant derrière elles leurs attributs féminins : les bijoux, le maquillage dont elles se séparent subtilement tout au long du film. Il y a un passage notamment où on voit Louise donner ses bijoux à un vieillard, comme pour signifier qu’elle laisse cette injonction à l’ancien monde. Heloise Van Appelghem s’est aussi intéressée au regard féminin et elle a essayé de comprendre comment il s’articule dans le film. Elle s’est notamment appuyée sur un article écrit par la chercheuse Brenda Cooper en 2009 et qui s’intitule « Chick Flick as feminist text : the appropriation of the male gaze in Thelma and Louise ».
Extrait de l’invitée – H.V : Elle en parle comme stratégie de résistance. Alors le premier élément qui fait qu’il y a une stratégie de résistance face à l’oppresseur ou face à la domination masculine et comment cela se manifeste dans la forme filmique ou dans l’histoire c’est comme tu dis le fait de résister au patriarcat et en particulier en fait de proposer, enfin, le film propose des portraits d’hommes machos assez stéréotypés, pour justement appuyer différentes représentations du patriarcat. À chaque fois elles vont différemment répondre à l’oppresseur en retournant les armes du patriarcat contre eux et pour ça elles vont se rapproprier la voiture qui est un objet traditionnellement masculin, et aussi le pistolet pareil : un objet traditionnellement masculin. Et les deux, le pistolet comme la voiture sont aussi, on va dire, symboliquement des prolongements phalliques donc ça redouble aussi la question du masculin.
Et aussi la voiture c’est important parce qu’en particulier dans Thelma et Louise et dans les autres road-movies féminins c’est assez symbolique de la prise de pouvoir, la voiture. Parce qu’il y a une expression en anglais qui dit « to be in the driver’s seat » c’est-à-dire « être sur le siège du conducteur » et ça peut vouloir dire aussi être aux commandes et là c’est exactement ça dans Thelma et Louise. Elle sont aux commandes de leur vie, elles reprennent possession de leur corps après une tentative de viol pour Thelma, et Louise on comprend aussi dans la narration qu’elle a elle-même été victime de viol et que donc en se vengeant sur Harlan c’est comme si elle se réappropriait elle-même son corps donc il y a une réappropriation des grands espaces occupés par les hommes, du corps, de leur désir féminin. Le fait de conduire, en fait, c’est une prise de possession par la route, par la mobilité, par la voiture. Et, par exemple, Thelma justement entre le début et la fin du film, elle était plutôt sur le siège passager. Et elle va passer sur le siège conducteur où elle était en admiration devant Louise où elle dit à un moment « je suis louise » en fumant et à la fin c’est elle qui est complètement, enfin, qui a une capacité d’agir beaucoup plus évoluée qu’au début du film et elles se retrouvent à égalité toutes les deux à être émancipées en tout cas par rapport au début.
Le deuxième élément, c’est le fait de, à l’opposé, proposer aussi des portraits d’hommes-objets pour montrer le désir féminin et ça c’est avec Brad Pitt en fait, qui aide Thelma à dépasser son statut de victime puisqu’elle a été victime d’une tentative de viol et elle est traumatisée. Mais JD, en fait, va l’aider à dépasser le trauma et à connaître pour la première fois la jouissance féminine puisque ça aussi à un moment donné c’est dit dans le film : elles ont une conversation le lendemain de la nuit de Thelma avec JD. Louise elle dit je crois enfin en anglais, elle dit « I’m so happy for you, you finally get laid properly » c’est-à-dire tu t’es enfin faite baisée correctement.
Narratrice : La séquence de la nuit d’amour entre JD et Thelma est intéressante, on voit la caméra s’attarder beaucoup sur le corps de Brad Pitt, faisant de lui le véritable objet sexuel de la scène. C’est comme ça que s’opère le male gaze, d’habitude. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que le nom de son personnage soit les initiales J. D., comme James Dean. Une sorte de figure mythique de Hollywood du jeune acteur sexy et rebelle. Et c’est cette scène en particulier qui fit connaître Brad Pitt comme un sex symbol, et c’est ce rôle globalement qui va propulser sa carrière. Non seulement Thelma se servira de JD pour atteindre la jouissance féminine, mais elle va aussi apprendre de lui et l’imiter. Elle va se servir de ce qu’elle sait de son assurance, sa prestance, son charisme, pour braquer une station service et devenir une vraie hors-la-loi. C’est peut-être un parti pris féministe de la scénariste d’estimer que pour atteindre l’égalité, cela doit signifier, faire comme les hommes.
Extrait de l’invitée – H.V : Oui, c’est un reproche qu’on a fait à Thelma et Louise mais qu’on peut faire, enfin, qu’on a fait aussi à plein d’autres films où, en plus, on dit que leur émancipation elle est partielle parce qu’elles reprennent justement les armes du patriarcat et que donc au final elles se « masculinisent » entre guillemets parce que c’est ce qui a pu être dit sur le film en tout cas c’était uniquement encore une fois sous le prisme du genre masculin : en reprenant la voiture, en prenant les armes, en se masculinisant aussi par les tenues vestimentaires parce qu’entre le début et la fin il y a une évolution, par exemple, Thelma au début elle a une robe virginale blanche et à la fin elle a les manches coupées, elle a la veste nouée et enfin elles sont un peu décoiffées et le visage bruni, un peu salie, et donc voilà il y en a qui y ont vu un échec en fait de l’émancipation féminine parce qu’en fait elles reproduisaient un schéma masculin mais je trouve c’est une interprétation assez limité puisque elles reproduisent pas en fait, elles retournent les armes du patriarcat contre lui-même et elles répondent à l’oppresseur, c’est-à-dire, que c’est ce qui se passe aussi dans beaucoup de road-movies féminins souvent quand les femmes vont devenir criminelles, c’est parce qu’en fait elles ont subi des violences de genre, des violences sexuelles, les violences du patriarcat donc lorsque les femmes deviennent marginales ou criminelles, moi je parle en tout cas dans les films, c’est souvent la réponse on va dire du dominé face au dominant. C’est une violence défensive, de l’autodéfense, quoi donc la violence n’est pas initiée en premier lieu par Thelma et Louise.
Narratrice : L’un des thèmes que le film aborde qui, je trouve, est intéressant, c’est le sujet de la violence féminine. C’est une question légitime et qui est aujourd’hui encore d’actualité puisqu’elle s’inscrit dans les débats que l’on porte au sujet du féminisme. Est-ce que les femmes peuvent être violentes ? Est-ce que le féminisme est violent ? Aujourd’hui, on considère par exemple que les collages féminicides, c’est violent. Je ne compte pas le nombre d’hommes dans ma vie qui m’ont dit qu’ils se sentaient agressés par ces collages. C’est un comble quand on pense que la véritable violence, c’est les actes qui sont dénoncés et l’inaction de l’état. C’est comme avec Thelma et Louise. On a tellement passé de temps à débattre si oui ou non c’était grave d’avoir des femmes violentes à l’écran, qu’on oublie que la véritable violence gratuite qui se passe, c’est le viol. La tentative de viol de Thelma mais, également, le viol qu’aurait subi Louise par le passé. En fait, ce qui choque les gens, ce n’est pas la violence en soi. La violence est un sujet maintes fois abordée dans la filmographie de plein de cinéastes. Mais ce qui semble choquer le plus, c’est la violence commise par des femmes. Je vous conseille d’ailleurs à ce propos l’ouvrage « La terreur féministe », écrit par la militante Iréné et qui explique qu’il est possible, voire nécessaire que la violence des femmes fasse partie de l’imaginaire collectif. Elle y développe un point important : le choix de la non-violence est un privilège. Or les femmes, comme beaucoup de groupes opprimés, n’ont parfois pas d’autres choix que d’user de la violence pour survivre. La violence mise en scène dans le film est un moyen pour Thelma et pour Louise de survivre dans la société patriarcale. Et en plus, on n’avait aucun moment soulever que les personnages masculins sont tout aussi violents. La raison pour laquelle c’est moins évident c’est parce que justement ce sont des comportement qui sont tellement banalisés dans notre société qu’on n’y prête pas vraiment attention. D’autres personnages sont violents dans le film : le mari de Thelma qui pète des câble et qui lui parle trop mal, la violence de l’agresseur qui bat Thelma aussi pour qu’elle se soumette, le copain de Louise aussi va être violent dans la séquence du motel où on le voit projeter des objets au mur. Sans compter toutes les violences patriarcales symboliques dont on a parlé au début. Le monde de Thelma et Louise est un monde violent parce que ce sont les hommes qui ont le pouvoir. Et la manière qu’elles ont de se défendre passe aussi inévitablement par la violence. C’est une violence qui est redoublée par toutes les oppressions qu’elles ont vécues. À aucun moment leurs actions sont motivées par une envie de vengeance. À la fin, elles ne prennent pas les policiers en embuscade et elles ne vont pas leur tirer dessus. Elles décident simplement de continuer le voyage ensemble.
Extrait de l’invitée – H.V : Le troisième élément qui fait partie des stratégies de résistance mis en place dans la narration, c’est la célébration de l’amitié féminine dont on parlait tout à l’heure, puisque elles préfèrent se choisir à la fin, elles deux, plutôt que les hommes. Daryl il a été quitté bon ben voilà, dès le début, on comprend au deuxième appel téléphonique quand il lui dit de rentrer à tout prix, elle lui dit « va te faire foutre », donc c’est le premier acte de rébellion face à lui et le dernier appel téléphonique qu’il passe quand il est avec les policiers elle comprend, en fait, qu’elle est sur écoute et elle lui raccroche au nez et donc on comprend qu’elle veut plus du tout retourner à sa vie d’avant. À un moment donné, elle le dit, elle dit « je suis éveillée », je ne pourrais plus retourner en arrière « I can’t go back » et on comprend en fait que là il y a un tournant, où elles vont continuer coûte que coûte. C’est ce qu’elles disent à la fin : on continue droit devant, où elles préfèrent se choisir elles deux en tant qu’amies, donc oui ça c’est le dernier élément et je trouve que c’est, pour moi, le plus intéressant : la dimension sorore du film, ce zoom qui est fait sur la poignée de main, elles se prennent la main toutes les deux avant de sauter dans le grand canyon et on les voit s’embrasser. Donc, il y a eu aussi une lecture du film queer, où on a dit peut-être que en fait plus que l’amour, enfin, plus qu’on va dire l’amitié entre femmes, ça célèbre même l’amour entre femmes donc c’est assez intéressant puisque ça s’ouvre comme ça avec leur polaroid juste avant qu’elles partent en week-end entre amies et en fait le film se finit aussi sur le polaroid, où on a un espèce d’insert, un très gros plan sur ce polaroid qui s’envole et ensuite elles-mêmes elles sont figées par un arrêt sur image donc ça va redoubler le mouvement photographique de l’image du début. Et juste après ça, plutôt que de les voir, voilà, on ne montre pas du tout une image d’elles au fond du ravin ensanglanté ça serait pas du tout intéressant, l’image d’après c’est le générique on nous remontent les meilleurs moments du film et on nous remonte le moment où elles se prennent en photo avec le polaroid donc même en fait le générique met au premier plan leur amitié féminine qui était très importante et d’ailleurs la bande son aussi choisi redouble ça parce que la chanson je crois qu’elle dit « you’re a part of me, I’m a part of you » donc tu fais partie de moi, je fais partie toi. Enfin, on pourrait dire, en tout cas, il y a cette dimension que l’on peut pas les départager et elles sont allés ensemble jusqu’à la mort est bon ben voilà ça reprend un peu comme la formule consacrée « jusqu’à ce que la mort nous sépare » là c’est ça, sauf que c’est une histoire d’amitié et elles préfèrent se choisir elles plutôt que les hommes qui étaient dans leur vie ou plutôt que de se rendre à la police. Donc plutôt qu’en fait être dans un enfermement qui serait soit domestique ou de la prison, elles préfèrent choisir la mort et, enfin, moi je trouve que cette célébration de l’amitié féminine, même si ça a été aussi lu à l’époque comme un truc très fataliste je trouve ça très intéressant de montrer qu’elles restent maîtresses de leur histoire de leur destinée même jusqu’à la fin, en fait, même jusque dans la mort.
Narratrice : Pour conclure, j’aimerais partager une anecdote sur Callie Khouri. Callie Khouri, elle a été très présente pendant le tournage, elle été considérée comme la troisième femme de Thelma et Louise. Elle a été présente sur toutes les interviews de promotion du film, vraiment beaucoup plus que Ridley Scott d’ailleurs. Encore longtemps après sa sortie du film et encore aujourd’hui, on lui demande si elle aime les hommes. On l’interroge sur le ton subversif de l’œuvre et si elle n’a pas participé à une guerre des sexes dangereuse qui dessert la cause des femmes, vous avez compris. Sans grande suprise, Callie Khouri repetera toujours que si des hommes avaient pu se sentir menacés par ce film, c’est sans doute parce qu’ils devaient se poser des questions.
Finalement, elle en avait vraiment rien à faire d’heurter ou pas l’ego des hommes.
Parce que, dans le fond, il ne s’agit que d’un film après tout.
Il n’y a pas mort d’hommes. En tout cas, pas encore.
Merci d’avoir écouté ce premier épisode jusqu’au bout. Merci à Héloïse Van Appelghem d’avoir répondu à toutes mes questions. Je suis Alice Creusot, productrice de ce podcast. J’ai travaillé sur l’écriture, la narration, la réalisation et le montage de l’épisode. La musique a été produite par le duo musical Air Lumière composé de Nicolas Goubier et Gaëtan Martin. Si cela vous a plu n’hésitez pas à le partager et à en parler autour de vous. Quant à moi, je vous donne rendez-vous sur la page instagram du podcast pour suivre toute son actualité et pour échanger avec vous. Je vous dis à bientôt pour une prochaine lecture Cinérameuf !